4h35,
Devant la porte de l’hôtel, un vigile moustachu monte la garde sur une chaise de jardin installée sur la chaussée déserte. Équipé d’une grosse lampe torche et d’une machette longue comme l’épée de Jack Sparrow, il veille scrupuleusement. Je m’assois sur le trottoir à côté de lui en dévorant mon semblant de petit-dej en lui balançant un ¿ Que tal ? peu vigoureux.
Il me demande alors avec qui je vais pêcher, j’ai surement l’air étonné qu’il sache ce que je m’apprête à faire et me rétorque que c’est la seule chose à faire à cette heure-ci.
Je lui raconte alors ma rencontre de la veille avec un groupe de pêcheurs harponnés sur la plage et mon rendez-vous avec un certain Nano qui n’était pas présent à ce moment-là. A vrai dire, c’est une expérience que je souhaitais vivre, je suis néophyte en la matière et c’est exactement ce que je leur ai dit quand j’ai proposé mon aide, cela semblait attiser leur curiosité et ils ont tout de suite accepté sans me demander de contrepartie financière.
Le point de rendez-vous situé près d’une escadrille de bateau garée sur la plage se trouve à peine à 200 mètres de là. Le veilleur de nuit m’indique de rester à ces côtés en me mettant en garde sur les rôdeurs qui vadrouillent sur la plage à cette heure matinale et que je verrai de toute manière passer le capitaine incessamment sous peu. J’attends alors patiemment, grillant ma première cigarette de la journée sous un lampadaire qui craquète et projette une lumière blafarde sur le front de mer silencieux. Des hordes de chiens errants jouent à cachecache entre les poubelles débordantes pendant que les derniers poivrots de la nuit titubent à califourchon sur le bord du trottoir en quête d’un retour vers leur dernière destination.
Un homme vêtu du maillot jaune fluo de l’équipe de football équatorienne fait son apparition au loin. Il conduit un vélo-brouette qui transporte un énorme moteur de bateau et un jerricane. Il me siffle afin que je le rejoigne, nous nous présentons brièvement, voici Nano, la trentaine qui va être mon guide dans ce type de pêche je n’ai jusqu’alors jamais pratiqué. Quand je dis guide, ce n’est pas de manière touristique mais dans la transmission de son savoir sur sa profession. Cela consiste à poser des filets en fin de journée à un endroit balisé par une bouée et localisé à l’aide d’un GPS et à les récupérer le lendemain matin. Nous nous apprêtons donc à récolter le fruit de leur pêche et je trépigne d’impatience à l’idée de découvrir les proies capturées dans leurs pièges. Son collègue nous rejoint et nous nous mettons à pousser la barque de 8m de long à l’aide de rondins de bois jusqu’au bord de l’eau. Ils enfilent des combinaisons de pêche intégrales bleues, ils ont l’allure des deux chimistes de la série Breaking Bad, le masque et la couleur en moins.
Nous partons rapidement vers le large, le trajet se fait à vive allure dans un silence total, seul le bruit du moteur pétarade dans une nuit en fin de vie. Ils ne semblent pas avoir envie de discuter à cet instant, cela tombe bien, car moi non plus, je savoure ce moment agrippé au bateau tout en ressentant un vif sentiment d’aventure. Nous arrivons au premier point de destination, situé à 8 milles du rivage. À l’aide de gants et de beaucoup d’huile de coude, nous remontons délicatement le filet laissant apparaitre les premiers poissons dont j’ai déjà oublié les noms.
Ils m’expliquent ceux qu’il faut mettre dans les bacs, les moins chers et plus nombreux et les spécimens à mettre de côté, car ils rapportent plus. Il y a aussi les poissons qui ne valent absolument rien et que l’on distribue généreusement aux oiseaux installés tout autour du bateau. Nous finissons le tri de ce premier filet, cela représente un peu plus d’une quinzaine de kilos de poissons que nous trions soigneusement sous les yeux gourmands de ces oiseaux affamés. J’adopte rapidement les gestes adéquats pour retirer ces poiscailles sans les abimer ni me couper et me concentre pour ne pas être submergé par le mal de mer qui me guette sur cette embarcation qui tangue fortement.
Voyant ma détermination à fournir une main-d’œuvre gratuite, soignée et productive, nous discutons gaiement sur nos vies respectives. Un moment charmant à raconter nos histoires, surtout les miennes, car ils sont curieux de connaitre ce touriste ayant décidé de se levé tôt pour les aider de bon cœur. Cela n’est pas courant pour eux, ils ont l’air d’apprécier le fait que je m’intéresse à leur travail si loin de celui que j’avais dans un bureau. Au fur et à mesure, l’odeur de poisson frais devient de plus en plus importante et de nombreuses écailles de poissons recouvrent alors mes pieds nus posés maladroitement sur cette pile de filet qui grossit progressivement.
Il est temps de passer au second filet qui se trouve à quelques minutes de bateau, cela me va bien de faire une pause et de scruter le large afin de calmer mon envie de dégobiller qui se fait de plus en plus pressante. Cette technique est plutôt efficace car je ne serai finalement pas malade. Rebelote, c’est parti pour encore quinze kilos de poissons tout aussi variés les uns que les autres, nous pècherons en plus de cela une petite langouste et quelques grosses langoustines. Je fais de mon mieux pour accomplir ma tâche minutieusement tout en gardant mon regard sur l’horizon. Après tout, je suis sur leur lieu de travail et je leur dois d’être efficace afin de ne pas les ralentir et être à la hauteur de la confiance qu’ils m’ont accordés en m’embarquant avec eux. Il faut détacher ces satanés poissons qui commencent à être vraiment nombreux, gérer la montagne de filet qui prend de plus en plus de place et entretenir la discussion qui est toujours aussi captivante même si l’accent équatorien est un peu différent du Colombien et que cela me demande un peu plus de concentration.
Nous avons finalement terminé notre pêche. Ils ont l’air assez satisfaits de la quantité, cela a été plus rapide qu’à l’accoutumée. Ils me témoignent leur gratitude et je me sens heureux d’avoir pu leur être utile. Nous reprenons donc la direction du port, enfin la plage sous un ciel qui est maintenant parfaitement clair. Le soleil n’est pas de la partie et je ne le regrette pas, car sans cela, j’aurais rapidement cramé. Pendant le trajet, je caresse l’espoir d’apercevoir des baleines, nous sortons tout juste de la période où elles se baladent dans le coin et j’espère avoir cette opportunité, mais elles resteront invisibles. Je me réconforte en me disant que notre voyage est loin d’être terminé et que je ferai en sorte d’accomplir cette mission, les observer sauter autour de moi !
Avant de retourner sur la plage, Nano appelle le commerçant qui vient pour lui acheter son lot de poisson. On voit ce dernier se rapprocher au loin dans un mototaxi jaune et nous attend de pied ferme. Nous regagnons le bord de la plage en prenant soin d’éviter les surfeurs qui sont déjà à l’oeuvre et amarrons sur la plage en un point où une troupe de badauds nous attend pour découvrir curieusement ce que nous avons à bord. Des hommes, des habitués visiblement, nous prêtent main forte et vont s’occuper seuls de faire rouler le bateau sur une centaine de mètres. Nano me fait comprendre de ne pas les aider, car nous allons les payer en poisson par la suite et que ce n’est pas notre rôle, après tout, nous sommes maintenant le centre de l’attention de cette plage et nous pouvons nous reposer sur nos lauriers jusqu’à la vente.
Je vois un homme arriver, la trentaine également avec un fort charisme, je comprends rapidement que c’est « el dueño », le chef de tous les pécheurs de la plage. Il s’occupe de négocier le poisson à bon prix avec l’acheteur et de répartir équitablement le butin entre les différents protagonistes. Après des aller-retour incessants, des photos prises par tous les quiteños en week-end autour de nous et des poignées de mains à tout va, Nano et son collègue prennent leur argent et je reçois un des plus beaux poissons de la barque, la langouste et les crevettes en guise de remerciement.
Il est maintenant 8h30, je repars vers l’hôtel qui se trouve à deux pas avec mon sac plastique qui pue à 10 mètres, mais rempli de fierté devant le regard du veilleur de nuit qui me voir revenir. Je lui montre le résultat de ma prise et lui demande de nous le mettre au frais dans le but de nous le faire préparer par un restaurant voisin le soir même. Je rejoins ma dulcinée qui est alors levée et l’emmène petit-déjeuner pour lui raconter mon expérience. Cette pratique de la pêche est très différente de celle à la truite que je peux pratiquer de temps en temps avec un très bon ami dans les rivières des Pyrénées en France. Une expérience authentique avec des hommes qui m’ont témoigné leur confiance et bien voulu me laisser partager leur quotidien sans rien me demander en retour. Je finirai la matinée sur la terrasse de l’immeuble, le séant vissé sur une chaise face à la mer à écrire le récit que vous venez de terminer de lire.
¡ Que buena inmersión con trabajadores del mar !
quelle joie de partager une telle expérience!!!
Tu a beaucoup de chances pour vivre telle experience agreable merci de ce partage
Je pense que l’excitation se sent dans mon récit, rien de tel que d’écrire un récit à chaud ! :p